Né dans le Bronx le 26 juin 1929, Milton Glaser grandit dans la Big Apple et finit par étudier, notamment, la gravure à l’eau forte sous le chapeautage de Giorgio Morandi de 1952 à 1953. Artiste inné, il s’associe à Reynold Ruffins, Seymour Chwast et Edward Sorel en 1954 pour fonder le « Push Pin Studio » alors qu’ils n’ont même pas 20 ans et qu’ils viennent d’essuyer l’échec de leur première création « Design Plus ». Curieux, désinvoltes et motivés, ils se lancent, ensemble, dans cette aventure. De son côté, Milton Glaser se passionne pour l’art décoratif de William Morris et pour le courant surréaliste.
« Picasso m’a montré qu’on peut changer de style à tout moment, parce que le style n’est qu’un outil, et pas une fin. »
Les 4 jeunes hommes mettent un point d’honneur à provoquer l’universalisme des années 60 imposé par le style suisse, par son modernisme. Milton, lui, recherche la fantaisie, l’extravagance et même l’imperfection. Il veut créer l’unique, le singulier, l’impensable.
Pour promouvoir leur travail, ils vont publier une revue qu’ils nommeront Push Pin Almanack et qui sera distribuée dans les plus grandes agences New Yorkaises. Une carte de visite originale qui fait office de portfolio. Mais, le plus étonnant, c’est qu’ils méprisaient complètement le travail commercial des publicitaires. En fait, ils ne juraient même que par l’art et affirmait :
« La différence entre l’art et le commerce est simple. L’art, c’est quand c’est du bon travail. Le commerce du mauvais travail. »
Pourtant, ce petit magazine plait, et devient une vraie publication mensuelle, le Push Pin Monthly Graphic. Une édition indépendante, baroque, un peu saugrenue, au style très vite copié. Inspirer un clip des Beatles, la classe ! Et c’est leur travail anarchique, sans règle, entre amis, qui définit leur plume.
Vingt ans de collaboration, une vingtaine d’associés, une centaine d’apprentis. Mais, entre Milton et Seymour, il y a des étincelles. En 1974, alors qu’une rétrospective de leur travail au Musée des Arts Décoratifs de Paris leur a été dédiée, Milton quitte discrètement le navire et se lance en solo. Le Milton Glaser Inc devient son bébé.
Sa notoriété lui apporte de nombreux projets : identité visuelle, design d’intérieur, architecture, signalétique, édition… Étonnamment, il va se placer au cœur de sujets simples, presque banals, à l’extrême opposé du travail qu’on lui connaît. Une refonte d’une chaîne de supermarchés, The Grand Union Company, c’est un peu moins sexy qu’une affiche de concert quand on y pense. Mais il enchaîne les coups de génie. Symbole international du SIDA, logo de DC Comics, Brooklyn Brewery… Des images qui traversent les années, et qui restent gravées. Et il s’accorde aussi le rôle de typographe avec la création, entre autres, de la Baby Teeth, la Filmsense et la Coochie Nando.
Seulement, si son nom est si célèbre, c’est parce qu’il est le créateur de 2 monuments du monde graphique.
Le premier, c’est la pochette du Best Of des meilleurs titres du grand Bob Dylan, en 1967. Mémorable. Le second, et probablement le plus populaire, est réalisé en 1977. I ❤️ NY. Alors que la ville qui l’a vu naître traverse une période difficile et que les touristes ne viennent plus, l’agence de publicité Wells Rich Greene est appelée en urgence pour monter une campagne qui inciterait les voyageurs à revenir la visiter. Sont mis en place un jingle, un spot TV et un slogan : I Love New York. Pour que ce slogan existe, il lui fallait un logo, et c’est Milton qui a été appelé. C’est d’un petit gribouillage dessiné dans un taxi sur le dos d’une enveloppe que naît ce logo iconique. Ce travail, il le réalise de façon complètement bénévole et cède tous les droits à sa ville natale pour l’aider à se remettre sur pied. Trois lettres en American Typewriter, un cœur rouge, un rébus enfantin, et une réussite intergénérationnelle.
Ce qui a fait le succès de Milton Glaser, c’est aussi son éthique. L’un des rares géants de la pub qui appliquait le serment d’Hippocrate. Et, ne l’oublions pas, c’était avant tout un artiste, publicitaire mais un peu anticapitaliste, qui affirmait que la rentabilité ne devrait pas être au cœur de son métier.
« Avant, il y avait de la place pour la nature, la beauté et la recherche de croyances communes positives et partagées. Maintenant, il s’agit de vendre des trucs. Le seul critère pour évaluer ce que je fais est l’augmentation des ventes, c’est méprisable. »
Vous aimeriez savoir comment s’est clôturée sa carrière ? En réalité, elle n’a jamais pris fin. Il méprisait les retraites « plan-plan » et le canapé-TV. Un concept qu’il haïssait encore plus que le narcissisme. Un concept auquel il refusait d’adhérer. Un concept auquel il ne cédera jamais.
« Si jamais je devais prendre ma retraite, j’espère que je mourrai le lendemain. »
Alors, le 26 juin 2020, jour de son anniversaire, il s’en va en beauté et prend enfin sa retraite. Derrière lui restera toute une vie de créations qui inspireront, à jamais, des générations entières de graphistes passionnés.